Affaire Benalla : les "témoignages mensongers"
L'association Anticor a écrit aux présidents des deux commissions d'enquête parlementaires afin qu'ils saisissent le parquet. L'association anti-corruption demande désormais aux présidents des deux commissions d’enquête chargées de faire la lumière sur l'affaire Benalla de saisir le parquet suite aux "mensonges entendus" lors des auditions qui se sont tenus depuis cet été.
Les présidents des vont-ils suivre les préconisations d'Anticor ?
Certains propos tenus sous serment sont "susceptibles d’être qualifiés de faux témoignages", écrit Anticor dans deux courriers adressés le 24 octobre à la députée de la majorité Yaël Braun-Pivet, présidente de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale et au sénateur Philippe Bas (LR), président de la commission d’enquête du Sénat. Anticor rappelle également que le Code pénal prévoit que "le témoignage mensonger fait sous serment devant toute juridiction ou devant un officier de police judiciaire agissant en exécution d’une commission rogatoire est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75.000 euros d’amende".
"Il est très choquant qu'on puisse mentir devant la représentation nationale. Il s'agit d'appliquer la loi si des mensonges ont été proférés sous serment. Sans cela, ces commissions n'ont aucune utilité...", résume Jean-Christophe Picard, président d’Anticor, auprès de "l'Obs".
"Mensonges" face aux députés?
A l'adresse de Yaël Braun-Pivet, l'association détaille deux déclarations faites devant la commission d'enquête de l'Assemblée nationale. La première, faite le 23 juillet, émane de Michel Delpuech, préfet de police de Paris, et concerne le jeune "couple de la Contrescarpe", victime de coups de la part d'Alexandre Benalla le 1er-Mai dernier. Les concernant, le préfet avait déclaré : "Elles avaient déclaré de fausses identités ; elles n’avaient pas de papiers sur elles." Faux, rétorque Anticor, qui s'appuie sur un article du "Monde" du 7 août, qui avait révélé que les deux individus avaient été relâchés sans poursuite et n'avaient à aucun moment cherché à dissimuler leurs identités.
Les autres propos "susceptibles d’être qualifiés de faux témoignages" concernent Patrick Strzoda. Face aux députés, le directeur de cabinet du président de la République avait indiqué, au sujet de la sanction prise contre Alexandre Benalla : "La mesure de suspension que j’ai prise était une sanction et en tout cas a été ressentie comme telle par l’intéressé. C’est-dire qu’il lui a été interdit d’être présent dans son service ; quinze jours de traitement sont retirés."
Ce qui ne cadre pas avec les déclarations faites par le même Patrick Strzoda, le lendemain face à la commission d'enquête du Sénat : "M. Benalla a reçu au mois de mai l’intégralité de son traitement, les quinze jours de suspension faisant l’objet d’une retenue sur les droits à congés obtenus au titre de l’année 2017", avait-il indiqué cette fois.
... et face aux sénateurs ?
Dans son courrier à Philippe Bas, l'association évoque la question du port d'armes d'Alexandre Benalla. Et Anticor de pointer plusieurs incohérences au cours des auditions de Patrick Strzoda et d'Eric Bio-Farina, commandant militaire de la présidence de la République. Le premier avait assuré le 25 juillet au Sénat qu'Alexandre Benalla "ne portait jamais d'arme en déplacement public", à l'inverse du commandant militaire :
"Commençons par M. Benalla. Je l’ai vu porter une arme, bien sûr, dans le cadre de certaines de ses missions. Je savais qu’une autorisation de port d’arme lui avait été délivrée et donc qu’il portait son arme de manière réglementaire", avait indiqué Eric Bio-Farina a déclaré, le 25 juillet 2018, devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale.
Les propos tenus par Alexis Kohler sont également dans le viseur de l'association. Outre la question de la réalité de la sanction infligée à Alexandre Benalla après le 1er-Mai, Anticor dénonce la déclaration faite le 26 juillet, par le secrétaire général de l'Elysée devant les sénateurs :
"La sécurité du président de la République est toujours assurée par le commandement militaire ou le groupe de sécurité de la présidence de la République. Ces services sont exclusivement composés de personnels qui relèvent soit de la police soit de la gendarmerie. Alexandre Benalla […] n’avait pas de responsabilités les concernant."
Mais comment expliquer les explications apportées par Yann Drouet, ancien chef de cabinet du préfet de police, le 19 septembre 2018, devant ces mêmes sénateurs ? Au sujet du port d'armes d'Alexandre Benalla – validé par le préfet de police –, ce dernier avait déclaré sous serment :
"On a considéré son action de coordination des services de sécurité de la présidence, on a estimé qu’il exerçait sa mission auprès du président de la République – une des personnalités les plus exposées de France dans un contexte de menace terroriste des plus élevées – et on a considéré que, dans le cadre de ses fonctions, dans le cadre de sa mission, il était manifestement exposé à des risques."
Imprécision coupable de Benalla
Et ces déclarations ne sont pas les seules imprécisions entendues lors des auditions. Comme l'a révélé "l'Obs", Alexandre Benalla, lui-même, s'était montré très évasif au moment d'évoquer son parcours professionnel face aux sénateurs le 19 septembre dernier. Notamment dans sa réponse à la sénatrice Esther Benbassa, qui l'a interrogé sur la présence d'une arme à sa ceinture lors d'une séance photo pour "l'Obs" en avril 2016. Avait-il seulement le droit de la porter ?
"Le 12 avril 2016, je n'étais pas en poste à En Marche !, j'étais à l'Office européen des brevets [dont le siège est à Munich, NDLR] et la plaque qui est autour de mon cou − même si j'ai le visage plus ou moins camouflé − c'est une plaque de l'Office européen des brevets [...] C'est une photo qui est prise ailleurs et qui n'est pas soumise à une autorisation de port d'armes", a répondu Alexandre Benalla, évoquant "des autorisations particulières" obtenues "à l'étranger, en Allemagne".
Sauf que cela est faux. "Cet insigne n’a rien à voir avec nous", a répondu à "l'Obs" l'Office européen des brevets. Ce que confirme un examen rapide du fameux cliché paru dans "l'Obs" en 2016. Aucune mention de l'Office européen des brevets n'est présente sur ce badge où on peut seulement lire "Security Agent – Sicherheitsdienst – Recht und Ornung". Quand à la séance photo, elle a été réalisée à Paris, et à ce titre, l'arme portée par Alexandre Benalla aurait dû être autorisée par la loi française, et elle seule. Quand aux "autorisations particulières" évoquées par Alexandre Benalla, ni les autorités françaises, ni celles de Bavière, ni l'Office européen des brevets n'ont été en mesure de nous confirmer leur existence.
Alors que les auditions menées par la commission d'enquête sénatoriale se sont achevées le 9 octobre dernier, les sénateurs ont théoriquement jusqu'à février pour continuer leurs investigations. Mais le rapport pourrait être rendu plus tôt, "avant la fin de l'année" , avait indiqué le sénateur Jean-Pierre Sueur (PS). Le rapport a toutes les chances d'être "sévère", avait aussi pronostiqué une source proche de la commission à la mi-octobre.
Lucas Burel