Affaire Darmanin : la juge clôt l’instruction
L’enquête pour viol visant Gérald Darmanin s’achemine vers un non-lieu. Selon nos informations, la juge d’instruction a annoncé son intention de clore les investigations qui avaient été relancées en juin 2020 après un recours de la plaignante, Sophie Patterson.
L’enquête pour viol visant Gérald Darmanin s’achemine vers un non-lieu. La juge d’instruction Mylène Huguet a annoncé, le 7 septembre, son intention de clore les investigations, selon des informations de Mediapart. La plaignante, Sophie Patterson, 49 ans, dispose désormais de deux semaines pour faire part de ses observations ou formuler des demandes d'actes.
Dans cette affaire, le ministre de l'intérieur est placé sous le statut de « témoin assisté », intermédiaire entre celui de mis en examen et celui de simple témoin.
Les faits remontent à mars 2009. À l’époque, Gérald Darmanin – 26 ans, étoile montante de l’UMP – est chargé de mission au service juridique du parti et conseiller municipal de Tourcoing (Nord). Sophie Patterson, 37 ans, est adhérente du mouvement. Elle se rend au siège de son parti pour demander de l’aide pour son dossier judiciaire. En « profonde dépression » depuis une condamnation par contumace en 2003 pour « tentative de chantage », « appels téléphoniques malveillants » et « menaces de mort », elle se bat pour contester cette décision qu’elle vit comme une « injustice ». Ces démarches deviennent le combat de sa vie, dit-elle. Sur place, elle est orientée vers Gérald Darmanin. Elle affirme qu’après leur entretien il l’aurait rappelée pour lui annoncer « qu’il allait s’occuper de [son] affaire » et pour l’inviter à dîner. Elle dit avoir accepté en toute « confiance ».
Le soir des faits, le 17 mars 2009, dans un restaurant parisien, ils n’ont parlé que de son dossier judiciaire, que l’élu semblait avoir déjà lu et connaître « par cœur », a-t-elle assuré lors de ses auditions. « Il a dit qu’il allait s’occuper de mon dossier [...], qu’il savait ce que c’était de vivre une injustice. Il m’a parlé de son grand-père tirailleur. [...] Il m’a dit qu’il allait me présenter Nicolas Sarkozy [...], qu’il allait m’aider. » À la fin du dîner, il lui aurait pris la main en lui disant : « Vous aussi, il va falloir m’aider. »
La soirée s’est poursuivie dans un club échangiste, puis à l’hôtel, où a eu lieu un rapport sexuel – contraint selon elle, consenti selon lui. Sophie Patterson a déclaré qu’elle n’avait « pas envie » de le suivre, mais qu’elle l’a accompagné parce qu’elle voulait que son dossier « soit examiné ». Elle a affirmé que l’élu lui aurait fait comprendre implicitement, à deux reprises, qu’il y aurait une contrepartie à son intervention, à savoir des faveurs sexuelles. Cette version est contestée par Gérald Darmanin, qui a assuré que c’est elle qui lui aurait fait des avances au restaurant, lui mettant plusieurs fois « la main sur les genoux, les cuisses et sur les parties intimes ».
Huit mois après les faits, l’élu avait en tout cas écrit à la ministre de la justice – à l’époque Michèle Alliot-Marie (UMP) – pour lui demander « de bien vouloir faire recevoir Madame Patterson ou, pour le moins faire étudier sérieusement son dossier qui a été transmis à vos services ». La garde des Sceaux lui avait répondu, en mars 2010, qu’« en raison de la séparation des pouvoirs », il ne lui était pas possible de formuler des appréciations sur des procédures en cours. Mais Sophie Patterson a expliqué avoir, pendant tous ces mois, attendu et espéré. À l’appui de son récit, elle a fourni des courriers attestant effectivement des démarches de M. Darmanin auprès de la Place Vendôme, ainsi que leurs échanges de SMS, dans lesquels elle réclame régulièrement « [sa] lettre ».
Parmi ces textos, sur la période 2009 et 2012, cet échange, daté du 17 décembre 2009, interroge particulièrement :
« Abuser de sa position ! Pour ma par cet être un salle con !!!! Surtout quand on et dans la peine , la politique te correspond bien !!! [sic] » ; « Quand ont sait l, effort qu, il ma fallu pour baiser avec toi !!!! Pour t, occuper de mon dossier [sic] », lui écrit-elle ce soir-là.
« Tu as raison je suis sans doute un sale con. Comment me faire pardonner ? Merci de me redonner une chance.. Es tu dispo des ce soir ? [sic] », répond-il.
Questionné à ce sujet par la juge, Gérald Darmanin a déclaré que ce texto était « une réponse à un échange » qu’ils avaient dû avoir « téléphoniquement ». Le ministre a aussi indiqué avoir mis « de la distance » parce que Sophie Patterson devenait « insistante ». Alors même que leurs échanges de SMS, versés au dossier, montrent au contraire un élu la sollicitant avec insistance pour « prendre un verre » (lire notre enquête).
Lors de son audition, la plaignante a relaté avoir recontacté Gérald Darmanin en juillet 2012, lorsqu’il a été élu député, avec des messages « ironiques », évoquant implicitement son dossier. « Tu vas certainement pas t, impliqué sur les erreurs judiciaire? sur les requêtes en révision plus accesible? Tes toujours lamentables? Ou tu te bouge pour des causes juste... », le questionnait-elle. Elle lui indiquait être à Saint-Barthélemy et ironisait : « Prend un avion ? [...] Douillet il n, a pas un jet ? » Ce jour-là encore, Gérald Darmanin lui avait proposé de « prendre un café ».
Au fil des années, ce dossier a connu plusieurs rebondissements judiciaires. C’est un courrier de l’ex-mari de Sophie Patterson, adressé au garde des Sceaux en mai 2017, deux jours après la nomination au gouvernement de Gérald Darmanin, qui avait déclenché l’ouverture d’une enquête préliminaire pour viol. Le dossier avait été refermé par le parquet de Paris, car la quadragénaire ne répondait pas aux convocations des policiers. En janvier 2018, conseillée par une nouvelle avocate, elle avait redéposé plainte et l’enquête avait été classée sans suite un mois après, pour « absence d’infraction ». Sophie Patterson s’était alors constituée partie civile, mais la juge d’instruction désignée avait refusé, en août 2018, de relancer les investigations. La plaignante avait fait appel de cette décision, et obtenu, après plusieurs recours, la reprise des investigations en juin 2020. Après un an d’enquête, le dossier s’apprête aujourd’hui à être refermé.
Parmi les demandes d’actes faites par Sophie Patterson dans cette affaire, seule une a été acceptée par la juge : le versement à la procédure de l’autre enquête qui a visé Gérald Darmanin. En février 2018, une habitante de Tourcoing avait déposé plainte pour « abus de faiblesse » contre le ministre. Le dossier avait été classé sans suite, mais il présentait des similitudes avec celui de Sophie Patterson (lire notre article). La Tourquennoise accusait le maire de Tourcoing d’avoir profité de son pouvoir pour obtenir des faveurs sexuelles, alors qu’elle était venue lui demander de l’aide pour sa demande de logement. L’élu n’avait contesté ni le rapport sexuel ni ses courriers d’intervention aux bailleurs sociaux, mais il avait réfuté tout « abus de faiblesse » et expliqué que la jeune femme lui avait fait « des avances très marquées ».
Toutes les autres demandes de Sophie Patterson ont été refusées, parmi lesquelles des vérifications bancaires et hôtelières concernant les paiements de la soirée (club échangiste, hôtel) ; l’audition de Rose-Marie Devillers, ancienne collaboratrice de Gérald Darmanin devenue son épouse ; l’audition de l’ex-femme de l’élu, avec qui il était fiancé au moment des faits. En mars 2021, celle-ci avait écrit à la juge d’instruction à la suite de notre enquête révélant des contradictions du ministre dans ce dossier : elle affirmait que certains propos tenus par Gérald Darmanin étaient « erronés » et elle indiquait se tenir à disposition de la justice. Elle n’a reçu aucune réponse.
La magistrate a considéré que toutes ces demandes n’étaient, au stade atteint par la procédure, ni « utiles à la manifestation de la vérité » ni « utiles à titre de renseignement sur la personnalité » de Gérald Darmanin. En juin 2021, la plaignante a contesté cette ordonnance de refus de mesures d’instruction complémentaire, mais la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris a rejeté sa demande le 1er septembre.
Jointe ce lundi, Sophie Patterson estime que « cette instruction est une mascarade depuis le début » et souhaite s’adresser aux éventuelles femmes qui pourraient témoigner selon elle du comportement du ministre : « Manifestez-vous, n’ayez crainte. Les grandes avancées sont toujours collectives. »
Sollicité via ses avocats, Gérald Darmanin n’a pas donné suite. Il a toujours contesté tout viol et tout « abus de pouvoir ». Sa plainte en « dénonciation calomnieuse » contre Sophie Patterson est toujours en cours.
Source : https://www.mediapart.fr/journal/france/dossier/laffaire-gerald-darmanin